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Carter : ce qui fait jouer Ron (publié dans Jazz Hot) Technique extraordinaire, sonorité superbe : ses conceptions ryhmiques ont influencé toute une génération de bassistes...C'est dire que Ronald Levin "Ron" Carter a sur les manières d'utiliser la contrebasse un avis point trop négligeable. Paul Bankimoun lui a fait écouter quelques-uns de ses pairs. BLINFOLD TEST Paul Chambers : " Chasin'the Bird " (Blue Note CDP 7 46533 2). Chambers (b, lead), Kenny Burrell (g), HankJones (p), Art Taylor (dm), 1954. " Paul Chambers avec Kenny Burrell. Le pianiste doit être Hank Jones et probablement A.T. (Art Taylor) à la batterie. Malheureusement l'histoire méconnaît l'importance de Paul Chambers pour la basse. Plus que Ray Brown et même qu'Oscar Pettiford, il est le chaînon le plus proche du coup d'envoi donné par Jimmy Blanton. On peut retrouver cette filiation chez Percy Heath, chez Red Mitchell, mais Paul est le lien le plus aisément identifiable avec Blanton. Il n'y avait pas de bassiste blanc véritablement important à cette époque. Eddie Safranski avait enregistré avec Kenton, Red Mitchell et son frère Whitey étaient en Californie mais ils n'étaient pas encore des bassistes qui comptaient. La contrebasse était totalement dominée par des musiciens noirs : Sam Jones, Red Callender, qui est le premier Noir à s'être imposé dans les studios californiens, tandis que Milt Hinton et George Duvivier en faisaient autant à New York. C'est pourquoi les critiques ont fait de Scott LaFaro le numéro-un à la place de Paul Chambers... Les gens qui se fixent sur la question de savoir si Paul jouait juste ou faux sont les mêmes qui se polarisent sur le fait que Miles rate une note ou que Parker jouait sur un instrument qui n'était pas le sien. Scott LaFaro avait une justesse épouvantable. Il n'avait aucun son quand on l'écoutait du fond de la salle. Il se trouvait dans un environnement où Paul Motian jouait des balais, ou doucement avec les baguettes. Quand Paul jouait, on l'entendait dans toute la pièce, alors qu'il était en quintette avec des batteurs comme Philly Joe Jones ou Jimmy Cobb ! Red Mitchell : " Scrapple from the Apple ". (Contemporary S7538). Mitchell (b, lead), James Clay (ts), Lorraine Geller (p), Billy Higgins (dm), 1957. Ça ressemble à Red Mitchell, mais je n'en suis pas sûr. Si je devais catégoriser ce disque, je dirais que c'est un disque West Coast, comparé au précédent qui est typique de la côte Est. Il y a beaucoup d'accords de substitution, d'accords II-V rajoutés. Le pianiste saute un peu comme un grenouille sur le clavier. Le ténor évoque Stan Getz et le batteur manque de conviction. Le tempo est trop rapide : trois crans de moins sur le métronome et il serait devenu confortable. De ce fait, Red Mitchell est partagé entre un solo à tempo deux fois plus lent et un solo qui garde le même tempo, ce qui fait qu'il n'atteint pas son but : c'est un poil trop rapide... A présent, Red accorde sa basse en quintes (l'accord normal se fait en quartes, du mi au sol.Ndir). A mon avis, et ce n'est une accusation ni contre Red, ni contre sa manière de jouer, la basse sonne affreusement comme ça : il n'y a d'articulation sur aucune des cordes. Ça me donne l'impression d'un gars qui joue sous l'eau... Red est un très bon contrebassiste et cela m'attriste de le voir changer l'accord de l'instrument parce que cela retire ce qu'il y a de meilleur dans son jeu. Il a toujours eu un très beau son, ses solos sont toujours excellents, il a de bonnes lignes de basse, même si nous ne jouons pas les mêmes. Mais je dois avouer que je n'éprouve plus le même intérêt à l'écouter depuis qu'il accorde sa basse autrement. Niels-Henning Orsted-Pedersen : " Cheryl " (Mps 0068.219). George Shearing (p, lead), Louis Stewart (g), NHOP (b), 1977. (Au bout de quinze secondes) C'est Niels sur Cheryl. Ces morceaux ne sont pas dans une bonne tonalité pour la contrebasse ; ils sont dans celle de l'alto et quand on les transpose à un autre instrument, dans le cas présent la contrebasse, on perd du mystère de Bird parce qu'ils ne sont pas dans le bon registre de l'instrument. Si on le jouait une tierce mineure plus haut (en mi bémol au lieu de do), on aurait une meilleure articulation, le son serait plus brillant... Le pianiste est raide... Si Niels se sentait suffisamment à l'aise avec lui-même pour me demander : " Comment pourrais-je mieux jouer ? ", je lui recommanderais d'écouter des chanteurs et de prendre des leçons de chant ; non pour devenir chanteur mais pour mieux percevoir comment fonctionnent les phrases. Il ne respire pas, comme le ferait un chanteur, ses phrases n'ont pas de ponctuation, pas de majuscule en début de phrase. Il joue de bonnes notes mais entourées d'autres discutables. Niels n'a pas non plus une justesse extraordinaire, ce qui me ramène à la discussion sur celle de Paul Chambers. Nous jouons d'un instrument sans frettes, dont les cordes font un tout petit peu plus d'un mètre. Il n'y a aucun repère pour nous dire où sont les notes sur la touche. Il nous faut deviner où elles se trouvent, et plus on pratique, moins on a à deviner. Comme nous jouons une musique qui change constamment, de note en note, d'intention en intention, nous devons toujours deviner. Certains disent que c'est une excuse pour les fautes de justesse, mais ils ne comprennent pas comment fonctionne une contrebasse et les risques permanents que l'on prend en jouant cet instrument. Les lignes de Paul étaient si angulaires que je suis ébahi devant sa justesse, parce qu'il sous-entendait (il fredonne une walking bass) : " fa-fa-la-la-etc. " et ce genre de lignes des années trente. Il jouait les septièmes, les sixtes, les neuvièmes et revenait à la base de l'accord, par exemple à la deuxième mesure. Dave Holland : " And then again " (Enja 4092 ou CD 409207). Kenny Barron (p, lead), Holland (b), Daniel Humair (dm), 1985. Je ne sais pas qui c'est, mais cela ressemble à un solo préparé. On y entend le genre de plans que l'on travaille chez soi d'après Coltrane ou le groupe de Miles avec Dave Holland. Là encore, c'est un bassiste influencé par LaFaro et non par Chambers. J'aimerais entendre ce bassiste jouer un solo après avoir étudié un morceau dont il ne connaîtrait pas les accords, pour voir comment il les a compris. Paul Chambers ne travaillait jamais ses solos, il faisait ses gammes. Ce bassiste a un son merveilleux. Le batteur joue dans un style proche de Jack DeJohnette et de Tony Williams. Le pianiste est influencé par McCoy Tyner, comme Mulgrew Miller. Scott LaFaro : " Crazeology " (Contemporary S7589). Harold Land (ts), Hampton Hawes (p,lead), LaFaro (b), Frank Butler (dm), 1958. Harold Land au ténor. Ce bassiste semble avoir la meilleure conception pour faire sonner la basse dans une section rythmique. Toutes les notes ont un début, contrairement à ce qu'on entend dans l'école qui a fait suite à LaFaro où les notes sont floues. Pour moi le swing d'un bassiste est défini par le commencement et la fin des mots. C'est ce qui détermine où se trouve la pulsation. Mais à nouveau le tempo est trop rapide pour lui. Je ne comprends pas pourquoi il ne joue pas un solo en walking bass au lieu d'un solo à quatre-vingt-dix notes par mesure ! On dirait qu'il répugne à jouer des noires et préfère jouer des croches ou des doubles croches... [Intervention de l'intervieweur : C'était Scott Lafaro qui montre deux aspects de son jeu.] Cela doit être à la même époque que le disque avec Victor Feldman et Stan Levey (" Thé Arrival of Victor Feldman ", enregistré deux mois plus tôt également par Contemporary, Ndir). Sur ce disque, il sonne comme Paul Chambers. Rufus Reid : " Habiba " (Theresa TRII1). Kirk Lightsey (p), Reid (b - solo à l'archet - lead), Eddie Gladden (dm), 1980. Kirk Lightsey au piano ? C'est un très bon pianiste. L'équilibre sonore est très mauvais. Le bassiste doit monter dans le registre aigu pour se faire entendre. Là encore il y a un problème de tempo : le morceau passe du tempo rapide à un tempo divisé par deux et le bassiste est pris entre eux. Il ne s'y est pas préparé physiquement. C'est difficile de jouer un solo à l'archet avec autant de bruit autour. L'attaque n'est pas aussi nette qu'en pizzicato, comme le jeu n'est pas détaché (en français) on n'entend pas le début et la fin des notes. Pour cela il faut jouer avec des musiciens qui savent accompagner un solo à l'archet, Red Garland et Philly Joe Jones étaient passés maîtres en la matière. Ici, le pianiste et le batteur n'ont pas d'indices sur la façon d'accompagner Rufus pour faire bien sonner un solo de basse... Ce sont mes amis ! J'ai été à l'école avec Kirk. Je ne suis pas sûr que de nos jours la basse jouée à l'archet sonne aussi bien qu'avant, quel que soit le musicien, moi compris, parce qu'on utilise des micros sur le chevalet qui captent le son avant qu'il ne se développe à l'intérieur de l'instrument. Ce n'est pas le son d'une contrebasse en musique classique, sans micro. Ce n'est plus le son de Slam Stewart ou de Major Holley. Marc Johnson : " From thé Heart " (Owl045CD). Jim McNeely (p, lead), Johnson (b), Adam Nussbaum (dm), 1984. Je ne sais pas qui c'est. Ce gars joue dans la " zone des saignements de nez ", en haute altitude. Je n'aime pas ça. J'admire sincèrement la constance qu'il faut pour s'asseoir, jour après jour, semaine après semaine, concert après concert, et jouer comme le bossu de Notre-Dame. Mais le bénéfice ne me semble pas valoir tant de peine. Si vous voulez entendre un altiste (violon alto) appelez un altiste ; vous voulez un violoncelliste, engagez un violoncelliste ! En se cantonnant dans ce registre ils ratent 80 % de ce qu'une basse peut faire. J'ai enregistré les danses des six suites pour violoncelle de Bach transcrites pour la contrebasse. Le plus haut où je suis monté est, je crois, le ré au-dessus de l'harmonique de sol (l'harmonique situé à mi-longueur de la première corde)... Ces morceaux sont si bien écrits que l'on peut y trouver tous les timbres, tous les parfums imaginables, sans passer la nuit courbé sur l'instrument, dans le registre aigu. Toute la génération de musiciens de Niels à Dave Holland, Marc Johnson, a consacré son temps à travailler ce registre. Ils ont incorporé dans leur jeu cet élément plus spectaculaire pour avoir plus de chance d'obtenir des engagements : si tu joues dans l'aigu, tu as des séances d'enregistrement... Je suis sensible aux difficultés qu'il peut y avoir à travailler mais je ne suis pas d'accord. De plus, ces musiciens rencontrent une difficulté qu'avait déjà Scotty : plus ils jouent dans l'aigu, plus ils font de fausses notes. Après cela, les gens iront parler de la justesse de Paul Chambers ! Son Carter : " Vnited Blues " (Blackhawk BKH 506 2). Kenny Barron (p, lead). Carter (b), 1984. C'est moi avec Kenny Barron. Pour bien comprendre le fond de la question : les bassistes doivent jouer en duo avec un pianiste, sans être couverts ou dérangés par la batterie. C'est une bonne manière de comprendre de quoi vous êtes fait, comment se forment vos lignes, comment vous développez une idée, votre justesse. J'insiste à nouveau sur l'importance d'un début et d'une fin pour les notes. On peut en faire des courtes ou des longues, mais chacune est à un endroit précis de la mesure. Une fois que l'on a cette pulsation, on peut mettre des virgules où l'on veut. Quand je joue, je fais entendre ça aux autres musiciens (il claque des mains en marquant chaque temps de la mesure), j'essaye de les faire répondre à cette pulsation en la jouant. Si l'on " marmonne ", on peut entendre la pulsation n'importe où dans votre son. C'est pour cela que la vieille génération, (Milt Hinton, Pops Foster) faisait si bien sonner les big bands. Slam Stewart, Oscar Pettiford ? Toutes les notes avaient un début et une fin. Duke et Basie avaient des bassistes qui jouaient comme cela. Walter Page !... Quels sont les bassistes actuels qui jouent de cette façon ? Major Holley a un son merveilleux et un jeu d'une grande qualité. Parmi des bassistes plus jeunes je citerai Marcus McLaren, Léon Dorsey, David Williams, Buster Williams. Sam Jones avait un beau son... On entend bien cette différence d'école dans le disque " Double Bass " avec NHOP... Oui. Sam se préoccupait du swing. Niels se préoccupe d'être un papillon... Propos recueillis et traduits par Paul Benkimoun. |